samedi 14 juin 2014

La réponse

Mais pourquoi un jeune ingénieur, qui a jouit d'une évolution professionnelle parfaitement contemporaine, choisit-il de tirer un trait sur quatre générations d'évolution qui ont permis à sa famille de sortir du joug de la terre en devenant lui même Paysan?

La société dans laquelle nous vivons a réussi à faire de la paysannerie une caste d'intouchables au point qu'elle se fait appeler Les Exploitants Agricoles... et qu'elle ne crée presque plus aucune vocation.

Pourtant j'ai décidé de devenir paysan, au sens de l'exercice d'une agriculture paysanne, pour ne pas regretter de ne jamais avoir réalisé mon rêve. Je deviens paysan de manière raisonnée pourtant et en m'adaptant à notre société, à ses besoins et à son évolution. Je ne la renie pas, je mets en œuvre mon projet en accord avec elle, sans contradiction et, je l'espère, en participant à son évolution positive. 
Je deviens paysan aussi car la vie à laquelle je me destinais (et ma famille avec) ne me correspondait pas et aurait, à un moment ou un autre fait dérailler le train que nous avions pris en jonchant son parcours de remords et de regrets. 
Je deviens paysan parcequ'une formidable dynamique autour d'une nouvelle agriculture respectueuse, urbaine et nourricière existe et se construit. Que mon rêve de devenir paysan trouvait toute sa justification dans cette construction audacieuse et visionnaire.

Ce projet de vie me semble le plus durable, intelligent et évolutif. Il démontrera qu'un agriculteur peut aimer la ville et en être issu, qu'il exerce un métier méritant le même respect que tout les autres métiers.

Récolte de carottes chez Philippe, 77

vendredi 13 juin 2014

Culture maraichère à Paris (3)

En 1854, le premier guide de maraichage est rédigé par deux Jardiniers-maraichers Parisiens. Ils y décrivent en introduction les caractéristiques de cette population qui représente 9000 personnes soit 0,5% de la population de la nouvelle enceinte. Plus de 15% de la surface Parisienne était occupée par cette forme d'agriculture dans Paris qui fournissait à la capitale sans doute la grande majorité des légumes consommés selon une technologie qu'on peut envier aujourd'hui.

[…], la nature de notre ouvrage nous obligeant à dire les habitudes et les mœurs des maraichers, nous allons les dire franchement, en nous effaçant personnellement autant qu'il nous sera possible.
Les maraichers de Paris forment la classe de travailleurs la plus laborieuse, la plus constante, la plus paisible de toutes celles qui existent dans la capitale. […]
Quoique le métier soit très dur, le maraicher s'y attache; […]; quand même l'inclémence des saisons vient contrarier ses projets, il se flatte d'être plus heureux une autre fois; il ne désespère jamais de la Providence.
[…]Les ressorts qui font remuer les passions chez les autres hommes leur sont inconnus; leur seule ambition, à eux, est de chercher les moyens d'arriver les premiers à porter des primeurs à la halle : une telle ambition ne troublera certainement jamais la sûreté publique.....
[…]les maraichers suivent le progrès, les perfectionnements du siècle; leur bien-être, leur aisance s'augmentent en raison de l'étendue de leur intelligence et de la justesse de leur raisonnement. […]
Mais si le maraicher a amélioré son existence, s'il se nourrit mieux, s'il est mieux vêtu qu'autrefois, si même il est devenu propriétaire de son marais, c'est qu'il travaille plus, qu'il travaille mieux, et surtout avec plus d'intelligence qu'autrefois.[…]
Depuis vingt et trente ans, l'intelligence des maraichers s'est particulièrement portée vers les moyens de forcer la nature à produire, au milieu de l'hiver, au milieu des frimas, ce que, dans sa marche ordinaire, elle ne produit que dans les beaux jours du printemps ou de l'été, et c'est en cela que la science des maraichers de Paris est devenue véritablement étonnante. Dès le mois de novembre, et souvent dès octobre, ils fournissent à la consommation des asperges blanches et presque toute l'année des asperges vertes; en janvier, des laitues pommées en abondance; en février, des romaines; en mars, des carottes nouvelles, des raves, des radis et du cerfeuil nouveau, des fraises, etc.; en avril, des tomates, des haricots, des melons, etc.
[…] le maraicher qui a la réputation d'être habile dans la culture des primeurs voit souvent un équipage à sa porte et des personnes, considérables par leur rang et leur fortune, en descendre pour causer avec lui, considérer son travail, étudier auprès de lui la pratique, et lui demander des avis ou des renseignements pour les transmettre à leur jardinier.


J.G. Moreau et J.J. Daverne, 1854
A suivre...

jeudi 12 juin 2014

Je ne suis plus paysagiste

J'ai quitté ma profession, qui m'avait attirée et même fascinée, parce qu'elle est globalement corrompue.

Corrompue au sens qu'elle participe à un système destructeur de la terre par des constructions souvent injustifiées et même déraisonnées en les légitimant.
Corrompue au sens qu'elle légitime ces lotissements, autoroutes, carrefours giratoires, et autres ZAC, par des études paysagères dirigées par les commanditaires qui se fichent de ce que l'expert paysagiste lui raconte mais qui lui commande un argumentaire positif bien argumenté coûte que coûte.
Le paysagiste est facilement corruptible car sa science et sa connaissance ne sont pas reconnues comme scientifiques et "dures" et qu'il est bien difficile pour lui de produire un raisonnement de ce type qui ne soit pas facile à contredire. Seul raisonnement que malheureusement notre société en croissance arrive entendre.

Je ne suis plus paysagiste et je deviens paysan car l'action constructive sur la terre est la seule qui me porte. Le travail collaboratif avec la terre est le seul en lequel je crois. Je deviens paysan car il m'est devenu insupportable de travailler à l'encontre de l'intégrité de la terre nourricière en déroulant des argumentaires parfaitement développés mais qui, la plupart de temps, ne justifient en rien le projet qu'ils défendent.
Mon action de paysan permettra aux paysagistes qui le restent de fournir des argumentaires positifs et quantifiables à des projets constructifs de relocalisation de la nature et de l'agriculture au plus près des villes et des infrastructures pour que ces dernières arrêtent d'étendre leurs tentacules de manières inconsidérée.

mardi 10 juin 2014

La guerre des graines

Pour illustrer le problème des semences et la limitation des libertés paysannes, un documentaires qui a été diffusé sur France 5 ICI

lundi 9 juin 2014

Culture maraîchère à Paris (2)

Au XIXe siècle, deux Jardiniers-maraichers écrivent un guide de cet art à Paris. Cette profession dans la capitale est alors considérée comme l'élite des maraichers avec une technicité très pointue. Vous trouverez ci-dessous un nouvel extrait, qui quantifie cette activité traditionnelle parisienne qui ne s'est perdue totalement que dans les années 1970.

Notre ouvrage étant particulièrement destiné à nos enfants, aux jeunes jardiniers-maraichers, nous devons leur donner la signification des mots qui ne s'apprennent pas dans notre pratique, et le mot statistique est de ce nombre. Ainsi, nous leur disons que le mot statistique signifie l'étendue d'un pays, d'un endroit, son climat, ses divers produits, son commerce, sa population florissante ou souffrante, sa richesse, l'argent qu'elle dépense et celui qu'elle gagne, etc. C'est donc en faisant l'énumération de ces différents rapports que nous allons donner une idée de la statistique de la classe des jardiniers-maraichers, exerçant leur profession actuellement dans la nouvelle enceinte de Paris.
1°  […]l'ensemble des terrains employés à la culture maraichère, […],est maintenant de 1378 hectares.
2° Ces terrains sont divisés en 1800 marais ou jardins, […] le plus grand nombre des jardins maraichers contiennent 3/4 d'hectares […].
[…]nous pouvons dire, avec assez de certitude, 
que, pour cultiver un jardin de 1 hectare, où l'on fait des primeurs et de la pleine terre, il faut, en tout temps, un personnel de cinq ou six personnes. […]Il y a 9000 personnes employées à la culture maraîchère dans la nouvelle enceinte de Paris.[…]
5° Ce qui prouve que les jardiniers-maraichers ont suivi le progrès du bien être qui s'est développé dans les classes travaillantes, c'est qu'ils occupent beaucoup plus de chevaux qu'autrefois[…].
[…]tous les jours quelques maraichers s'éloignent du centre de la capitale, parceque de nouvelles bâtisses, de nouvelles fabriques, de nouveaux magasins se forment continuellement, s'emparent des terrains et les rendent d'un prix supérieur à celui que peut y mettre le cultivateur[…];quelquefois encore il est obligé de s'éloigner pour cause d'utilité publique. […]
Les terrains compris entre le boulevard et le mur d'octroi valaient, il y a une vingtaine d'années (ndr : approx 1830), de 20 à 22000 fr. l'hectare; aujourd'hui ces terrains n'ont plus de prix. Sur les bords du canal Saint-Martin, et autres endroits où le commerce s'est porté, l'hectare se vend 80 ou 100000 fr.[…]
11° S'il ne nous est pas possible, par plusieurs raisons, de donner le chiffre de la dépense de la culture maraichère dans Paris, nous pouvons donner très approximativement le chiffre de ses recettes.  […]nous pouvons affirmer que l'ensemble des recettes de la vente des légumes des maraichers dans la nouvelle enceinte de Paris s'élève au chiffre d'environ 13 500 000 francs par an.

J.G. Moreau et J.J. Daverne, 1854

A suivre... 

mardi 3 juin 2014

Culture maraîchère de Paris

Au XIXe siècle, deux Jardiniers-maraichers écrivent un guide de cet art à Paris. Vous trouverez ci-dessous un extrait, introduction à l'histoire du maraichage Parisien... dont il reste encore quelques témoins.

Il est généralement connu que, toutes les fois qu'on a reculé l'enceinte de Paris, les jardiniers maraîchers ont été obligés de se reculer aussi pour faire place de nouvelles bâtisses, et que ce déplacement leur était toujours onéreux, en ce qu'ils quittaient un terrain amélioré de longue main pour aller s'établir sur un nouveau sol, souvent rebelle à leur culture, et qui ne pouvait être amélioré qu'avec le temps et de grandes dépenses. Plusieurs d'entre nous se rappellent que, vers la fin du siècle dernier, lorsqu'on a reporté le mur d'enceinte ou sont aujourd'hui les barrières de l'octroi, beaucoup de maraichers sont allés s'établir au-delà des nouvelles barrières, parce que le prix des terrains circonscrits à de suite considérablement augmenté. Plus tard, lors de l'établissement du canal Saint-Martin, un assez grand nombre de maraîchers furent encore obligés d'aller s'établir plus loin pour laisser la place aux nouvelles constructions. Jusqu'en 1780, on voyait des jardins maraîchers le long du boulevard, depuis la porte de Saint-Antoine, aujourd'hui place de la colonne de Juillet, jusque près de la Madeleine ; depuis longtemps on n'y en voit plus aucun. Le trentième quartier de Paris s'appelait alors le Pont-aux-Choux, tant les marais étaient nombreux. Enfin, jusqu'à la révolution de 89, les jardiniers-maraîchers ont conservé l'usage d'appeler leur jardin marais ; mais depuis lors la plupart disent leur jardin, parce qu'en effet ces jardins ne ressemblent plus aux marais dans lesquels les premiers maraichers s'était établis, d'où le nom de maraîchers que leurs successeurs portent toujours.
J.G. Moreau et J.J. Daverne, 1854